Marchés publics : double peine pour l'acheteur public en présence d'une escroquerie
- Louis Wacquier
- 9 févr.
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Dernière mise à jour : 10 févr.
Dans une récente décision datée du 21 octobre 2024, le Conseil d'Etat juge que l'acheteur public, victime d'une escroquerie, n'est pas libéré de son obligation de paiement à l'égard du titulaire quand bien même le versement effectué sur le mauvais compte aurait été réalisé de bonne foi.

En 2019, le Grand port maritime de Bordeaux avait conclu avec une société un marché en vue de la fourniture et de la mise en service d’une grue à tour sur portique sur le site du pôle naval de Bassens pour un montant total de plus de 1,7 M€.
Comme de nombreuses collectivités / sociétés ces dernières années, le Grand Port maritime avait été victime d'une fraude au "faux RIB", lequel avait été communiqué par un prétendu salarié de la société titulaire du marché qui avait préalablement subtilisé ses identifiants.
En conséquence, seul le premier acompte de 20% avait été effectivement perçu par la société titulaire. Les 80% restants furent finalement versés sur le compte bancaire frauduleux.
Une fois l'escroquerie révélée, le Grand port maritime a refusé de renouveler ces versements, prétendant que les versements déjà réalisés l'avaient libérés de son obligation de paiement envers le titulaire.
Par un jugement du 29 mars 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a donné raison à la société titulaire, auteure d'un recours, et a condamné le Grand port maritime à lui verser les sommes litigieuses augmentées des intérêts moratoires avec capitalisation.
Par un arrêt du 4 juillet 2023, la Cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté son appel contre ce jugement.
Le Grand port maritime s’est donc pourvu en cassation.
Le Grand port maritime avait, notamment, tenté de se prévaloir de l'article 1342-3 du code civil, lequel rappelle que :
"Le paiement fait de bonne foi à un créancier apparent est valable."
"(...) il appartient à une personne publique de procéder au paiement des sommes dues en exécution d'un contrat administratif en application des stipulations contractuelles, ce qui implique, le cas échéant, dans le cas d'une fraude tenant à l'usurpation de l'identité du cocontractant et ayant pour conséquence le détournement des paiements, que ces derniers soient renouvelés entre les mains du véritable créancier. La personne publique ne peut ainsi utilement se prévaloir, pour contester le droit à paiement de son cocontractant sur un fondement contractuel, ni des dispositions de l'article 1342-3 du code civil relatives au créancier apparent, qui ne sont pas applicables aux contrats administratifs, ni des manquements qu'aurait commis son cocontractant en communiquant des informations ayant rendu possible la manoeuvre frauduleuse. En revanche, la personne publique, si elle s'y croit fondée, peut rechercher, outre la responsabilité de l'auteur de la fraude, celle de son cocontractant, en raison des fautes que celui-ci aurait commises en contribuant à la commission de la fraude, afin d'être indemnisée de tout ou partie du préjudice qu'elle a subi en versant les sommes litigieuses à une autre personne que son créancier. Le juge peut, s'il est saisi de telles conclusions par la personne publique, procéder à la compensation partielle ou totale des créances respectives de celles-ci et de son cocontractant." Conseil d'Etat, 21 octobre 2024, n°487929
Par cette décision, le Conseil d'Etat refuse de faire peser sur le créancier les conséquences d'une telle escroquerie, protégeant ainsi le débiteur, dès lors que le premier reste le mieux placé pour identifier l'escroc en produisant tous les éléments en sa possession relatifs aux paiements frauduleux.
L'acheteur, qui doit donc faire preuve d'exemplarité, disposera toujours d'une action contre l'auteur de l'escroquerie, si tant est que ce dernier soit identifiable...
Cet arrêt consacre un mouvement jurisprudentiel initié dès 2018 :
CAA de Paris, 10 avril 2018, n°17PA03697,
CAA Nancy, 22 décembre 2022, n°20NC06292,
CAA Douai, 26 mars 2024 de la CAA de Douai, n° 22DA01355,
Acheteurs publics, veillez à renforcer les contrôles, surtout au stade du paiement, au risque de subir une double peine...
Louis WACQUIER
Avocat en droit public
Avocat en droit de la construction
Barreau d'Amiens
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