Politiques publiques : le juge administratif peut-il se substituer aux pouvoirs publics dans leur élaboration ?
- Louis Wacquier
- 21 mars
- 3 min de lecture
Dans une décision de 12 mars 2025, le Conseil d'Etat était amené à se prononcer sur son office en matière de police administrative et, plus précisément, sur la possibilité de se substituer aux carences de l'autorité publique dans la détermination des politiques publiques.

Dans cette affaire, les proches d'un chasseur victime d'un incident de chasse ont créé un collectif "un jour un chasseur" ayant pour objet de prévenir les mauvais comportements dans la pratique de la chasse.
Auteurs d'une pétition ayant recueilli plus de 120 000 signatures, les membres de ce collectif ont ainsi pu transmettre leurs doléances à la Conférence des Présidents.
Cette dernière a ainsi accepté de donner suite à ce dossier en initiant, en 2021, une mission de contrôle, laquelle a abouti à l'émission d'une liste de 30 propositions "pour plus de sécurité à la chasse".
En janvier 2023 était rendu public un "plan de sécurité à la chasse" énumérant 14 mesures.
Jugeant ce plan ministériel insuffisant, les proches du chasseur décédé saisissaient alors le Premier ministre d'une demande tendant à ce que soient édictées "toutes les mesures propres à garantir la sécurité des personnes et des biens lors du déroulement d'actions de chasse ou de destruction d'animaux susceptibles d'occasionner des dégâts".
Le silence gardé par le ministre faisait naître une décision implicite de rejet.
Les proches du chasseur décédé enregistraient un recours en excès de pouvoir principalement motivé par l'illégalité de ce refus.
Saisie de la question, la juridiction administrative suprême s'interrogeait notamment sur l'analyse à opérer en présence d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre une décision de refus de prendre un ensemble de mesures.
Cette analyse se résume en trois critères :
Dans un premier temps : existe-t-il une obligation pesant sur l'administration ?
Saisie d'une question semblable s'agissant d'un recours dirigé contre un refus de prendre les mesures nécessaires au respect, par la France, de ses objectifs en matière de développement d'énergies renouvelables, la juridiction administrative avait alors rejeté la requête au motif qu'aucune disposition légale ou réglementaire, ayant un caractère contraignant, n'imposait à l'Etat une telle prise de décision. (CE, 6 novembre 2024, n°471039)
Il est ensuite nécessaire d'établir l'existence du manquement à ladite obligation, supposant :
Que ce manquement soit caractérisé et suffisamment grave,
Que des mesures administratives soient susceptibles d'en prévenir la poursuite / réitération,
Que l'abstention de l'administration ne puisse être justifiée.
Il est enfin indispensable d'analyser la demande au regard de la clause de "politique publique", laquelle interdit à la juridiction administrative de se substituer à l'administration dans l'édiction de ces politiques publiques.
Disposant de ces trois issues, le Conseil d'Etat a toutefois fait le choix de la simplicité en retenant que :
Lorsque le juge administratif est saisi d'une requête tendant à l'annulation du refus opposé par l'administration à une demande tendant à ce qu'elle prenne des mesures pour faire cesser la méconnaissance d'une obligation légale lui incombant, il lui appartient, dans les limites de sa compétence, d'apprécier si le refus de l'administration de prendre de telles mesures est entaché d'illégalité et, si tel est le cas, d'enjoindre à l'administration de prendre la ou les mesures nécessaires. Cependant, et en toute hypothèse, il ne lui appartient pas, dans le cadre de cet office, de se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou de leur enjoindre de le faire.
Les requérantes ont demandé au Premier ministre de prendre toutes mesures utiles pour garantir la sécurité des personnes lors du déroulement d'actions de chasse, et notamment vingt-cinq mesures dont une part est issue des conclusions du rapport d'information du Sénat, intitulé " La sécurité : un devoir pour les chasseurs, une attente de la société ", publié le 14 septembre 2022.
En l'absence d'obligation précisément déterminée par le législateur, la demande des requérantes tend en réalité à la détermination d'une politique publique en matière de sécurité de la chasse. Ainsi qu'il a été dit, il n'appartient pas au Conseil d'Etat, statuant au contentieux de se substituer aux pouvoirs publics pour y procéder.
Pour rejeter la requête, le Conseil d'Etat retient finalement qu'aucune disposition contraignante n'impose à l'Etat de prendre les décisions proposées par les requérants et que, en tout état de cause, il n'appartient pas au juge de se substituer à la puissance publique dans l'élaboration des politiques publiques.
S'il est donc possible de contraindre une personne publique à adopter un ensemble de "vastes mesures", une telle demande doit cependant faire l'objet d'une analyse préalable, calquée sur les critères exposées par la jurisprudence.






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